« L’histoire d’un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l’histoire de l’infini », ainsi commence le livre.
En ces temps de grandes révolutions où l’espoir se paie une fois de plus avec du sang et des larmes, « l’Histoire d’un ruisseau » d’Elisée Reclus vient comme du baume sur une brûlure à vif.
Il fut l’un des pères de la géographie et l’un des penseurs de l’anarchisme. On lui doit une magistrale « Nouvelle Géographie Universelle » aujourd’hui quelque peu dépassée et dont les milliers de pages ne sauraient rattraper tous les bouleversements qui ont changé la planète.
Ce qui fait le charme et la grandeur de ce petit livre de deux cents pages environ, c’est qu’il possède une universalité, une intemporalité et une beauté descriptive qui en font un « classique ».
C’est admirablement écrit, poésie en prose ; c’est une vision de l’écologie bien avant l’heure ; c’est d’un humanisme profond ; c’est une bouffée de joie, de jouissance et de vie.
Des grincheux pourraient trouver cela ringard, naïf, « has been ». Qu’ils grinchent ! Nous avons les yeux pleins d’images excellentes que nous procurent les documentaristes, images époustouflantes qui nous mènent au cœur de la vie sauvage. Certes ! Mais là, il y a une philosophie entièrement contenue dans la goutte d’eau et son cycle.
Le ruisseau qu’il décrit est autant celui, ceux de sa jeunesse que ceux que nous avons fréquentés. Grâce à la magie des mots, le ruisseau se transforme en un concept. Depuis, la goutte d’eau jusqu’à la rencontre du fleuve avec l’océan, il se passe tellement d’évènements, neige, glace, infiltration, rivières souterraines, sources, baignades, utilisation de l’eau comme force motrice, comme moyen de transport, irrigation, frontière, inondations, épanchement de la soif des plantes, des animaux et des hommes, nécessité d’assainir les rivières transformées en égouts, autant de chapitres qui nous interpellent d’autant plus que les prochaines guerres risquent fort d’avoir pour origine l’eau.
Et pour finir, sa dernière phrase, qui nécessite de recouvrer une certaine foi en soi-même et en les autres : « Les peuples, devenus intelligents, apprendront certainement à s’associer en une fédération libre : l’humanité, jusqu’ici divisée en courants distincts, ne sera plus qu’un même fleuve, et, réunis en un seul flot, nous descendrons ensemble vers la grande mer où toutes les vies vont se perdre et se renouveler. »
Lire aussi, si ce n’est déjà fait « L’avenir de l’eau » d’Erik Orsenna paru en Livre de Poche et qui s’inscrit dans la continuité du livre de Reclus. Sauf, que la lucidité de l’académicien est plus angoissée que celle de son illustre prédécesseur, à preuve la dernière phrase de son excellent ouvrage :
« Même optimiste de nature et par morale, le voyageur, revenu de son tour du monde, sent sourdre en lui une autre angoisse. Pollution, surproduction, érosion, urbanisation… Partout les surfaces cultivées manquent, partout les sols s’épuisent.
Où allons-nous développer l’agriculture capable de nourrir 9 milliards d’êtres humains ? La crise globale de l’eau n’aura pas lieu. La crise de la terre commence… »
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